Voilà bientôt cinq ans que le Nutriscore a vu le jour en France. Tout le monde connaît ce petit logo coloré à cinq lettres qui nous permettraient de « mieux choisir » nos aliments et de manger plus équilibré. Mais, malgré sa notoriété croissante, ce score arrive-t-il à tenir ses promesses, et aide-t-il vraiment les Françaises et les Français à mieux manger ? Entre la schizophrénique défiance des industriels, la vision biaisée des instances publiques, le flou artistique qui règne sur internet et le tiède intérêt des consommateurs, il est difficile de se faire son propre avis sur ce score qui ne vous veut que du bien. Pour vous aider à y voir (un peu) plus clair, voici un avis tranché mais sincère d’un professionnel de la nutrition – garanti sans conflit d’intérêt.

Le Nutriscore, en bref

Nous n’allons pas nous attarder sur les produits concernés ni la méthode de calcul, car les sites internet de Manger Bouger ou de Santé Publique France expliquent très bien cela en détail.

Petit rappel, pour ceux qui ne fréquentent pas beaucoup les grandes surfaces. Le Nutriscore est un logo, qui peut être affiché sur l’emballage de certains produits alimentaires transformés, rencontrés dans les supermarchés ou sur internet. Non obligatoire, il promet de résumer l’équilibre nutritionnel intrinsèque d’un aliment – contenant une quantité variable d’énergie fonction de la masse consommée, plusieurs dizaines de nutriments et quelques milliers de molécules fonctionnelles – à cinq lettres. Un bien grand défi.

Comment utiliser le Nutriscore ?

Voici ce que dit le Programme National Nutrition Santé :

« D’abord, l’idéal pour avoir une alimentation plus favorable à la santé est d’essayer de suivre les recommandations alimentaires (par exemple augmenter les légumes secs, aller vers les féculents complets, limiter la consommation de produits gras, sucrés, salés et ultra-transformés…). Et dès qu’on le peut, il est préférable de cuisiner des plats faits maison, à base d’aliments bruts, de préférence de saison et produits localement. Mais par manque de temps ou d’envie, et selon les produits, ce n’est pas toujours possible… C’est là que le Nutri-Score est bien utile : il permet de repérer en un coup d’œil les aliments de meilleure qualité nutritionnelle dans les rayons. Pratique ! À condition de bien l’utiliser. ».

Comme on vient de le voir, même les instances qui ont créé le Nutriscore préconisent dans un premier temps d’équilibrer son alimentation sur les recommandations de santé publique habituelles (disponibles ICI = https://www.mangerbouger.fr/Les-recommandations), de cuisiner maison avec des aliments bruts et de saison. Et cela, avant même d’avoir à utiliser le Nutriscore pour faire ses courses. Autrement dit, ce score ne se suffit pas à lui-même, il devrait être utilisé en dernier recours pour discriminer deux aliments d’une même famille entre eux, et choisir le « moins mauvais » pour la santé. Il ne devrait pas être mis en avant comme si c’était le garant ultime des « bons produits », ni être utilisé comme un premier critère de choix.

Et, c’est là où le bât blesse. Car, même si les auteurs suggèrent d’utiliser le Nutriscore en dernier recours, la quasi-totalité des consommateurs l’utilise en premier lieu et comme unique critère de choix ! 

Une notation critiquable

Le Nutriscore ne devrait servir qu’à choisir entre deux aliments de la même catégorie (entre deux marques par exemple), pas entre deux catégories différentes. Face à deux paquets de biscuits au chocolat, un A et un C, on choisira la meilleure lettre (ici le A), mais on ne pourra pas vraiment se faire un avis si l’on souhaite comparer le paquet de chocolat A à une boîte de sardines B. Cela n’a pas de sens. Le score montre rapidement ces limites car rares sont les personnes qui savent se faire un avis sur le contenu global de leur chariot.

Vous l’aurez compris, je suis contre ce genre d’initiative réductrice et infantilisante qui font la part belle au produits ultra-transformés et discriminant par la même occasion les industriels – majoritairement responsables de « l’épidémie » de malbouffe qui sévit en France et dans le reste du Monde. Après le greenwashing, le Nutriscore ouvre donc l’ère du diet-washing

Ce système de notation est très critiquable car :

  • Il stigmatise des familles d’aliments qui sont pourtant très intéressantes pour l’équilibre alimentaire quotidien comme les produits laitiers, les poissons en conserves ou les huiles.
  • Il rajoute du « bruit » à la cacophonie alimentaire ambiante.
  • L’équilibre alimentaire ne s’apprécie pas sur un aliment (ni même un seul plat car on peut « mal manger » avec des aliments A, et trouver diététiquement son compte avec des aliments C, pour peu qu’on équilibre ses apports au cours du temps).
  • Dans les têtes des gens, un aliment A « annule » un aliment E, alors qu’il ne fait que se rajouter. Au lieu d’inciter à « mieux » manger ce système incite à manger plus.
  • Les besoins de chacun sont différents, ce score ne saurait convenir à toute la population. Et d’ailleurs, ce score, contrairement au tableau nutritionnel (qui n’est pas parfait non plus), ne prend en compte que la composition de l’aliment et non le pourcentage de couverture des besoins d’un consommateur moyen (vous savez la mention une portion de ce produit couvre X% des besoins en protéines, elle n’existe tout simplement pas dans l’idée du Nutriscore).
  • Il permet aux fabricants d’augmenter artificiellement les prix des aliments les plus sains, éloignant encore davantage les populations les moins aisées d’une alimentation équilibrée.

Mais il a les avantages suivants : 

  • Il est pratique
  • Il est rapide à utiliser

Trop de simplification tue la simplification

On assiste donc à une simplification à outrance d’un système d’information. Censé combler un problème de lisibilité et de compréhension, ce score ne fait que perdre davantage son utilisateur. Imaginez une carte routière dont on effacerait les routes secondaires et les villes pour ne laisser que les autoroutes ! Au lieu de rendre la carte fallacieusement plus simple, pourquoi ne pas apprendre aux gens à lire une carte ? On ne peut pas, dans un domaine aussi important pour la santé, laisser un consommateur s’égarer (moins de temps à lire les étiquettes c’est plus de temps passer à remplir son caddie…) sous prétexte de vouloir l’aider. C’est de l’infantilisation et ça n’aide personne.

Si l’on en suit cette logique, dans quelques années, le Nutriscore laissera peut-être sa place au « Pabonscore », un système encore plus simple, binaire, avec un rond noir et un rond blanc, pour les aliments « bons » et les aliments « pas bons ». En extrapolant ainsi on se rend vite compte de l’absurdité d’une telle méthode, et pourtant on fonce en plein dedans.

Les vrais aliments n’ont pas de Nutriscore

N’oublions pas que la plupart des aliments qui aident à garantir une alimentation équilibrée ne possèderont jamais de Nutriscore, puisqu’ils sont tout simplement dépourvu d’emballage : fruits, légumes, lait, pain, oléagineux, légumes secs, viande, œuf, poisson, etc. Ces aliments bruts ou peu transformés n’ont jamais eu besoin d’étiquettes pour être considérés par la population générale comme des aliments « sains ». D’ailleurs, si ces aliments étaient « nutriscorisé », ils seraient classés AAA ou A+++. Car oui, le Nutriscore classe « le bas du panier ». Et quand bien même il deviendrait obligatoire, il ne ferait que s’appliquer à une petite catégorie de produits industriels. Quid des AMAP, des ventes directes, des marchés, des restaurants, des petits producteurs ou encore de l’autoconsommation ? Il existe un vaste monde en dehors des rayons de supermarché, qui n’a pas attendu de score pour prendre soin de nous. 

En attendant de trouver le système parfait, il existe une méthode alternative au Nutriscore pour faire un choix rapide et pratique (qui offre donc les mêmes avantages que le Nutriscore, sans les inconvénients). Et non, ce n’est pas une appli ou une énième classification, c’est bien mieux. Pour « mieux manger » regardons ce qui se fait déjà depuis la nuit des temps :

  1. Choisir des aliments simples et les transformer soi-même.
  2. Se nourrir dans la diversité (de toutes les familles alimentaires).

C’est légèrement plus long qu’un simple coup d’œil sur une étiquette, mais je vous assure, c’est infiniment plus efficace.

Les vrais enjeux derrière l’idée de score alimentaire

Les tableaux nutritionnels à l’arrière des bocaux et des boites, ne sont pas compliqués à comprendre. Les consommateurs ne sont pas bêtes, ils sont juste désinformés. Il ne faut pas tirer l’accès à l’information vers le bas, il faut la rendre plus visible et plus accessible, avec pourquoi pas : 

  • Des tableaux d’informations uniformisés, avec une taille minimale, pour une meilleure lecture.
  • Une liste de nutriments élargie.
  • Un emplacement de ce tableau à l’avant des produits et sur les étiquettes de prix par exemple (comme la provenance des fruits et légumes).
  • Une campagne d’information auprès du grand public (courriel, courrier, publicité) – à l’instar des consignes de tri sélectif.
  • Et des dispositifs d’accompagnement en milieu scolaire pour éduquer les enfants et les adolescents (au cours de sa scolarité, un élève va passer moins de 5 heures à étudier l’équilibre alimentaire…).

Alors oui cela nécessite de repenser un peu le système et de recruter des professionnels de la nutrition pour élaborer, analyser, synthétiser et diffuser ce savoir. Mais la santé des générations à venir n’en vaut-elle pas le prix ? 

Tout comme cinq lettres ne suffisent pas à écrire un livre, un score ne suffit pas à construire un monde mieux nourri.

Sources :

  • https://www.mangerbouger.fr/Manger-mieux/Comment-manger-mieux/Comment-comprendre-les-informations-nutritionnelles/Qu-est-ce-que-le-Nutri-Score
  • https://www.santepubliquefrance.fr
  • https://gourmandiz.dhnet.be/manger-mieux/9765/en-theorie-le-nutri-score-cest-genial-mais-dans-la-pratique-cest-une-vaste-illusion
  • Les effets du Nutri-Score en France sur le consentement-à-payer des consommateurs à faible revenu, Stephan Marette. Décisions Marketing, Association Française du Marketing, 2019
  • https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT-Ra-Profils.pdf
  • Hawley et al. – The science on front-of-package food labels – Public Health Nutr. 2013

COMMENTAIRES (2)

2 Comments

  1. Très chouette article! On se doutait bien de l’anguille sous le rocher, et là…tout est clair. Du Roquefort moins bien « noté » que du Coca zéro?!! Ce n’est en effet pas la même famille de produits, donc par définition incomparable entre eux mais un remplissage de caddie qui pouvait virer à la dinguerie. Mangeons local, simple, varié pour des résultats non moins sophistiqués et à haute valeur gustative.
    Merci

  2. Super article! Merci m’sieur le nutritionniste!

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